Décidément, je ne la sens pas son histoire d'avc, pour être moi-même né dans la ligue des ligneux, je sais que c'est un peuple droit et fier, jamais ils n'usent d'assassinat, et encore moins de mutilation. Milles hypothèses me passent en tête, et si c'était le Vicieux lui-même? Et si ce n'était pas vrai? Les secondes passent pour des heures, je gagne un peu de contenance en revérifiant mes sanglages. Heureusement, la règle de ces rencontres est de toujours donner le change aux alentours, ainsi, même si l'entretient est crucial, je peux vaquer à mes occupations habituelles. Alors que je fais encore le tour de Bigranoute, je me cogne littéralement contre la dague du Vicieux. "Tu veux que je te prête la mienne peut-être? Tu as compris maintenant?"
Je fixe la lame qui brille dans le faisceau de ma frontale avec horreur, je crains de deviner les exigences du Vicieux...Il veut prendre définitivement les commandes, il veut que je me sacrifie. Je jette un oeil par dessus mon destrier, le Prèz est assis dans le coffre, il déguste un jus de pommes, toujours en tongs et en t-shirt, la serviette de Pedro lui couvre les épaules, comme un mauvais présage. Personnage complexe que le Prèz, un tyran, certes, mais qui nous a mené toujours au combat avec force et dignité, un comédien de premier ordre, un tacticien hors pair...non, je ne puis avaler la couleuvre des ligneux, c'est autre chose.
Je dois trouver moyen de gagner du temps, je dois assurer mes arrières, s'il m'en reste! Et puis, il pourrait s'agir d'une manoeuvre du Prèz lui-même, ce ne serait pas la première...Non, l'avc c'est trop gros, je ne dois pas me laisser emporter par la peur. Je pense aux miens, je dois m'en sortir.
"Si tu assures dans cette épreuve, je te nommerai responsable de la communication de la fédé... sussure Don Pedro, tu auras un sauf-conduis pour le Var..."
Le Var!!!!!! Mon instinct de pêcheur emballe mon coeur, le Var!!!!! Pays de cocagne, de de tous les pêcheurs, L'Eldorado!!!!! Et dire que j'en suis privé depuis si longtemps!!!!! Etrange que le Vicieux me fasse miroiter tant d'avantages, alors qu'il aurait simplement pu ordonner...Décidément, rien n'est clair dans cette situation, et je ne peux m'empêcher de murmurer en repassant de l'autre côté...Le Var...
"Allez viens, je t'invite le Mousse!!!"
Je n'en crois pas mes oreilles, c'est le Prèz qui a parlé, m'offrant ainsi l'ouverture que je cherche désespérément...Aussitôt, je me jette à ses genoux et je baise ses tongs.
"Quand tu souhaiteras Ô mon Prèz!!! Je vais de ce pas me poster près de mon téléphone, et j'attendrai votre appel avec ferveur et dévotion!"
Don Pedro, forcément, ne se laisse pas démonter par ma pirouette, il m'assène un grand coup de botte qui me jette au sol.
"Ecarte-toi Chiure de Gabian, tu souilles le Prèz de tes baveries, fait comme il a été dit..."
Je roule maintenant vers le Nord, un vent terrible ballotte mon destrier sur l'autoroute, je ne sais plus quoi penser, mais je suis heureux de mettre de la distance entre Don Pedro et moi, même si se croire en sécurité est illusoire dans ce cas. Je suis bien fatigué, depuis ce matin tant d'événements, je lutte contre le sommeil. Je m'arrête fréquemment pour prendre l'air. Je trouve enfin la pluie vers Valence, au moins je n'aurais pas à rincer le bateau. Que signifie tout ceci? Dois-je me préparer à assassiner le Prèz? Cette invitation aura-t-elle lieu? Vais-je voir ma fin prochaine? Une lame Bretonne ou Normande va-t-elle trouver le chemin de ma gorge durant mon sommeil? Pendant mon service? Pour l'instant je n'en sais rien. Je suis en plein brouillard, dans tous les sens du terme, les derniers milles se font à vitesse réduite.
Je débarque enfin dans ma cour, mon chien m'attend, mes chèvres m'appellent doucement, je fume sous le porche. Toute cette politique! Tout ça pour des poissons! Faut-il que nous soyons fous!!!! Demain j'irai aux champignons, ici, peu me les disputent...je relève mes pièges avant d'aller dormir, encore un rat taupier! Tant mieux, ils ont fait beaucoup de mal à mes récoltes, l'hiver sera long.
Il va falloir que je repense à tout ça. Mon intuition me dit que je ne vais pas tarder à redescendre vers le Var, là encore, j'aurai au moins le bonheur de la réminiscence!!! Si je parviens à rester en vie...
FIN
Les éternels buveurs de bière et fumeurs du soir ont déjà répandu leurs musiques sur la cale, celle-ci s'entremêlent en un brouhaha chaleureux...ambiance marseille!!! Je me dépêche de reculer la voiture pour mettre le bateau au sec, manquant au passage d'écraser un Prèz béa devant tant d'animation...J'essaie de ne penser à rien, mais l'angoisse monte en moi, que va-t-il m'être demandé? Je me rend compte que mes gestes ne sont pas aussi rapides que d'habitude, la nuit est tombée, le Prèz grelotte, curieusement, il reste en tong short et t-shirt, alors que la saison est déjà bien avancée...Le Vicieux lui est déjà emmitouflé dans sa polaire, il range son matériel et celui du Prèz...Il a par contre gardé sa dague, qu'il utilise pour se curer ostensiblement les dents. Message pour la faune qui l'entoure ou pour moi? Je ne sais pas. Plus les minutes s'écoulent, plus je peine à préparer le bateau pour la route. Enfin c'est fait, je me change. Je sais que le dénouement est proche. Plus loin, les buveurs s'extasient sur les prises des "chasseur" qui ont oeuvré dans le port, un joli loup, de petits poulpes, deux rougets...Malgré tout, j'ai passé une bonne journée, il faudra que je m'arrange pour revenir en douce, peut-être à la palme pour plus de discrétion, la rade m'a manqué...
, voir un tout petit 
on est pas mal sur cette page de la génération 2004 
