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Les marches du destin (2)

Publié : sam. oct. 20, 2007 10:00 pm
par pedro
13 ans plus tard, ma « situation » (paternité, boulot stable…), m’a calmé. Surtout, le poisson de ma vie, je l’ai déjà eu plusieurs fois. Blasé ? Non, lissé, sans gnack, au point d’arrêter la chasse pendant quelques mois.
Antidote, les potes.
PA D me fait l’honneur de me proposer de faire les compet ensemble. Il arrive au championnat de France individuel, et me laisse sans co-équipier pour celui en double. Adoubé pour un remise en question, seul sans maître.
Le club me propose C. comme partenaire, dont la réputation de bon « enfle ».
J’entame un début de conversation prémonitoire : « Super ! tu vas me redonner la pêche. En te voyant, j’ai l’impression de me voir il y a 10 ans. »
Le championnat de France se déroulera dans 10 mètres, mais notre première pêche commune nous amène sur les marches du destin. L’amour de la profonde a parlé, en particulier l’appel des dentis du mois du mai.

7 heures du mat. 1ère d’échauffement pour trouver le poste : un angle de marche dont l’exposition au courant parle.
2ème apnée direct sur le poste, histoire peut-être de rouler les mécaniques, de montrer qui on est. Le diable me le fera payer.
A la fin de ma descente j’aperçois sans les voir des mérous glisser, 13 ans d’interdiction me les ont rendus transparents… je me pose dans une des rares failles de ce décor presque glauque (il n’y a pas de posidonies). Les dentis arrivent confiants…. Près ... Tir… Scronch. Séché. Je remonte de trente mètres sans largable avec le denti dans les bras : hydro dynamisme et frime se conjuguent. Une fraction de seconde me fait penser au chemin parcouru depuis 13 ans. « Je l’ai séché, ils sont tout con » lui dis-je. Erreur, cela chauffe les esprits.

Je vais à la bouée, et essaie d’enlever ma flèche du crâne du denti. C’est dur, c’est long. Je ré-enclenche mon fusil. Cherche C du regard, rien. Je ne m’inquiète pas : cela est arrivé des dizaines de fois. Je le cherche, le maudis un peu de ne pas m’avoir attendu. Est-il parti le long de la marche ?? Palmage de sustentation, tourne vire… là ! A quelques mètres de moi, derrière un clapot, quelque chose cloche : deux ailerons ?. Non ! deux palmes : C est sur le dos. Les quelques secondes qui me séparent de lui, je me dis qu’il est remonté et qu’il prend une pose triomphale ou qu’il se re-ventile sur le dos. Mais son masque est blanc. Je comprend tout de suite : il est noyé : la mousse qui sort du nez c’est l’eau qui revient des poumons.
Merde. J’enlève son masque et son tuba qui, sur le dos, ont aggravé sa noyade. Ses yeux sont ouverts. Fixes. Des syncopés, j’en ai vu mais dans cet état….
Je gueule (autant de panique que de désespoir), je le claque. Rien. Je l’empoigne et l’amène au bateau. Je me mets à hurler maintenant. Une petite musique arrive et insiste pendant que mes gestes me paraissent au ralenti : il est mort…
Je jette mon fusil, la bouée (on les retrouvera jamais-[remarque mesquine]). Je tente un bouche-à bouche dans l’eau. Je le monte dans le bateau comme on m’a montré dans une autre vie. Il est là en vrac : des bulles sortant du nez. Regard fixe. Un petit chronomètre dans la tête me confirme. « Il est mort, c’est fini pour toi la chasse, car tu devras remercier le destin d’être vivant », insiste la musique égoïste.
Je découpe sa combi pour l’éventuel massage cardiaque. Un souffle continu sort de son nez. J’appelle le 112, autant par réflexe que pour me couvrir juridiquement.
Une idée : le mettre en position boulège pour que la pression du boudin appuie sur les poumons et fasse sortir l’eau. Je remonte l’ancre, démarre. Clapot plus navigation. Il tousse.
« Merci » est le premier mot de sa nouvelle vie. Je l’entend sans le croire, je suis détaché de ce monde. « Putain t’es pas passé loin.. » je lui parle, je lui parle !!!
je crois que j’ai eu une pensée fataliste voire religieuse.
Je ne me rendrai compte que quelques heures plus tard, au repos, du miracle.
Les pompiers m’attendent au port. Le prennent en charge. Je parle avec eux, j’explique ..

A l’hôpital, il me racontera sa quadruple erreur
-ne pas m’avoir attendu
-en bas avoir attendu le plus gros
-l’avoir tiré mais moulinet bloqué, essayé de l’avoir remonté en force au lieu de lacher le fusil
-ne pas avoir de moulinet de ceinture
-ne pas avoir largué la ceinture.(classique)

Il me racontera aussi la piqûre d’adrénaline dans le cœur, le speech du toubib qui lui a expliqué le peu de chance statistique de survivre à une dizaine de minutes d’arrêt respiratoire…. (Appel au 112 comparé à l’horaire bloqué de sa Suunto).

D’autres marches (dans le Var) ont trouvé le diable et me font frissonner. Des copains y sont restés. Mais je n’y étais pas. Je pense à eux, mais sans angoisse avec tristesse. Par contre, un petit pincement au cœur m’étreint chaque fois que je suis sur la promenade, retrouvant ma famille, en contemplant l'avancée de terre des marches du destin.

Un petit récit comme thérapie pour moi, et pour vous, pour remettre d’aplomb avec les expériences actuelles d’ « avant syncopes ».

Publié : sam. oct. 20, 2007 11:29 pm
par jm31
:shock: :shock:

Encore une fois une chance énorme !

Heureusement qu'il y en a un peu :!:

Publié : sam. oct. 20, 2007 11:30 pm
par Orca
J'en ai froid dans le dos... :?

Publié : dim. oct. 21, 2007 9:47 am
par JFB
Puisse ce recit être lu par beaucoup de chasseur sous marins ....
Puisse-t-il leur ouvrir les yeux sur les risques potentiels de cette pratique.

J'ai moi aussi fait une syncope en corse à mes débuts, et je dois la vie à mon ange gardien d'équipier qui veillait sur moi ...

...


Personnellement je trouve que bcp d'entre nous prennent des risques inconsidérés ... La banalisation de la profondeur y est certainement pour qque chose.

Quand on parlait de 18m y a qques années, on parle aujourd'hui de 28m ....
Mais 28m ça ne s'improvise pas. On ne "franchit" pas 10m en une saison ...

Publié : dim. oct. 21, 2007 10:01 am
par scal
Tu as raison Jeff, "les marches du destin", témoignage d'un Grand Chasseur, résument en deux opus toute l'humilité que nous devons à tout prix garder lorsque nous sommes dans l'eau.

je me demande si je ne vais pas les postiter :wink:

Publié : dim. oct. 21, 2007 10:17 am
par PREDATOR83
En lisant ton recit,je me rememore cette journee du 17 aout 2002.Les memes sensations,on n'est dans un filme,tout se deroule au ralenti,on tente le tout pour le tout,mais plus rien.Ce filme est grave dans ma tete a jamais et a chaque fois que mon coequipier tarde a remonte ca se remet sur (play) et les frissons m'envahissent.Je me dit que ça passera un jour mais d'un autre cote je me dis qu'il ne faut pas,ça me rappel souvent a l'ordre.

Publié : dim. oct. 21, 2007 10:25 am
par cedric
:shock:
j'sais pas koi dire :?

Publié : dim. oct. 21, 2007 10:30 am
par PREDATOR83
Y a rien a dire,juste y penser et faire enormement attention.

Publié : dim. oct. 21, 2007 10:54 am
par loupitchou
Effectivement....tout ça fait réfléchir, surtout que l'on peut également syncoper dans deux mètres d'eau, en piscine , alors que l'on se sent en sécurité...Cela a failli m'arriver, drôle d'impression tous ces picotements..
Alors que dire lorsque l'on se retrouve dans le bleu avec 30 mètres sous les palmes. L' équipier a alors le rôle le plus important, la preuve en est faite dans ce récit, car tout seul, on sait comment cela se serait terminé.
Pour ma part, je chasse souvent seul, dans des fonds qui n'exède pas quelques mètres, et j'arrive encore à faire quelques poissons.

Ceci dit, en septembre 2001, alors que je palmais tranquillement à la recherche d'herbiers, dans 1 m 50 d'eau , j' ai entendu un bruit d'hélice, plus fort que d'habitude. Le bruit se rapprochant sévèrement et devenant de plus en plus fort, j'amorce un canard, je dis bien j'amorce car vu la profondeur, je me serais cogné au fond, et là , un gros choc de ma cheville droite jusqu' à la tête.
Je venais de me faire shooter par un bateau, dont le capitaine n' a pas trouvé necessaire de stopper la progression...car je ne pense pas que mes 78 kilos soient passés inaperçu dans sa coque ( dure...). Ce dernier a bien pris soin , malgré mes cris , de garder son cap pour que je ne puisse identifier le bateau.
Bilan, voilure droite explosée, cette dernière ayant rencontré l'hélice, puis s'en suit une grosse douleur au genou. Tiens, je saigne...
je regagne avec beau coup de mal la voiture j'enlève ma combard, et je me rend compte que la couture est bien evidement nécessaire au niveau de la tête du peronné ( orthographe ?) .
Donc le chemin du retour se fera pas vraiment dans la joie et la bonne humeur, vu que je pisse un peu le sang et que les muscles se refroidissent.
Bref, ce jour là malgré la bouée à quelques mètres, et la faible profondeur, voilà ma mésaventure, rien a voir avec une syncope me direz vous, mais bon...j'aurai été aidé par un équipier , je pense que j'en aurait un peu moins ch...
Tout ça pour dire que le danger est partout, bien sûr cela ne m'empêche pas d'y retourner (même seul, hummm ), mais je n'entend plus les hélices de bateaux comme avant...

Prudence à toutes et tous, pour que l'on puisse veillir avec notre passion.

Publié : dim. oct. 21, 2007 11:02 am
par loupitchou
Ah j'oubliais...

Je crois que ce jour là, j'ai eu moi aussi beaucoup de chance...surtout, que cela s' est soldé par quelques points de suture, pas de cassure fracture, etc...

................................

Publié : dim. oct. 21, 2007 6:08 pm
par la vive
Pedro,
merci de partager ces durs souvenirs avec nous.

Tu peux t'imaginer l'effet qu'ils ont sur moi.

Je souhaite à tous de ne jamais avoir à vivre ça.
Je me sens mal placé pour dire ça mais ça fait maintenant deux jours que je gamberge et je crois que le respect des rêgles de sécurités qu'on n'arrête pas de répéter, c'est surtout le respect de soi.

reponse

Publié : dim. oct. 21, 2007 6:16 pm
par Picasso
et oui :!: ca fait frisson dans le dos :roll: respectons la mer et la passion nous fera vivre longtemps :lol:

Publié : dim. oct. 21, 2007 6:36 pm
par loupitchou
En effet, la vive,

J'ai lu que pour toi aussi , ce n'était pas passé très loin...
Comme quoi, même les meilleurs chasseurs peuvent passer également par là, mais lorsqu'on a la chance d' en réchapper, il est impossible de ne pas s' en rappeler ( sauf si on a pas de cerveaux, ou de case "mémoire" ).
Ca sert aussi a être plus attentif aux symptomes pouvant intervenir avant l'accident, ce à quoi un débutant ou un chasseur moins aguerri pourrait ne pas faire attention.
Cela sert aussi et surtout à faire passer le message comme quoi cela n'arrive pas qu'aux autres, et il n ' y a aucune honte à ressentir à écrire des ligne comme les tiennes ou celles de Pedro. Au contraire, c ' est comme cela que l'on peut se sentir " vivant", les gars...car ce n'est malheureusement pas le cas pour tous le monde.

Publié : dim. oct. 21, 2007 6:37 pm
par TiteBretOnne971
WahOo. Je ne sais pas quOi dire. Comme quoi la chance existe, peut être un ange gardien... qui sais ?

:snorkel:

Publié : lun. oct. 22, 2007 11:58 am
par Chao-Le
Formidable, il y a parfois une fin heureuse !
Quel chemin ça a dû être, d'avoir ton coéquipier qui revient !
Mais j'ai pas bien compris : tu l'as installé la poitrine sur le boudin ? Avec le clapot, ça a dû lui faire du massage cardiaque peut-être ? Et avec dégagement de la mousse de l'oedème pulmonaire ?

Publié : lun. oct. 22, 2007 1:32 pm
par pedro
Le zodiac était un petit 3 m 50, avec console : allongé le long du plancher il ne tenait pas. En travers du bateau sur le dos il était compressé.
Donc, allongé ventre sur boudin, tête en bas, ça l'a secoué (un peu comme la maneuvre de Jsépuki qui préconise de mettre le bébé tête en bas et de lui taper dans le dos quand il a inhalé une cacahuète). 10 secondes après le démarrage du moteur, il a repris conscience.
C'est le bateau qui a fait le boulot. Miracle, car en fait c'était la première fois que je démarrais ce moteur (c'était le bateau de C). Après l'avoir remis aux pompiers, j'ai essayé de redémarrer. En vain. J'étais en panneCela aurait pu m'ariver en mer, avec le syncopé au fond du bateau. J'imagine la scène en train de m'acharner sur le moteur, avec un cadavre en face de moi....

Publié : lun. oct. 22, 2007 1:34 pm
par pintade
Paradoxalement, c'est ce genre de CR que j'apprécie le plus :?

Autant parler de poisson peut nous donne des ailes, autant raconter un accident nous les fait revenir sur terre.
Quelque soit notre niveau, nos compétences, nos habitudes, notre ancienneté dans la pratique de la chasse sous marine, restons terre à terre.

Merci Pedro :wink:

Publié : lun. oct. 22, 2007 1:40 pm
par Orca
C'est le genre de poste qui nous sauvera peut-être la vie un jour... le partage de vos expériences douloureuses nous aiderons surement un jour à éviter le pire :bisou: :wink:

Publié : lun. oct. 22, 2007 2:21 pm
par jm31
Pint' et Orca: tout à fait d'accord :Réver aux "exploits" de Bibou (par exemple) est super mais peut être un risque pour tous, en particulier pour les plus jeunes.

Ce genre de post et le récit des peurs et coup de chance et important, sinon fondamental!

Pour répondre à Chao Le, sauf erreur de ma part, maintenant dans les "protocoles" de sortie de d'un syncopé, on passe bien par cette étape de "plat ventre" sur le boudin, tete vers le bas: ca facilite d'abord le "vidage" éventuel des voies supérieures"



En fait je viens de regarder sur le "RIFAA" ( http://apnee.ffessm.fr/Commission/Texte ... textes.htm
Voir sur le bas de la liste les indications sur le RIFAA .. et la fiche mentionnée en haut du Post "Sécurité en CSM" )
et on n'y parle pas pas de ça, ce doit etre dans les cours "interne" de mon club que l'on en parle: en fait quand on sort l'equipier de l'eau, il arrive de toutes façon à plat entre sur le boudin , il s'agit donc, avant de continuer les opération, de profiter un instant de cette position avant d'enchainer les autres "manœuvres"

Publié : lun. oct. 22, 2007 2:41 pm
par Perce que dalle
Pédro, très fort, très efficace, merci vraiment.