Souvenirs d'enfance
Publié : lun. nov. 11, 2013 11:15 am
La coutellerie armurerie de Madame Goudes, située dans une artère commerciale du vieux Marseille, était distante de 150 mètres de la boutique de mes parents. Il me fallait alors passer devant le kiosque à journaux, le salon de thé, le pâtissier, le café PMU, le coiffeur, le fromager et la mercière avant d'arriver à la coutellerie. Le quartier a bien changé depuis. Seul le café PMU, rebaptisé pompeusement brasserie, a traversé les époques. Tous les autres commerces sont aujourd'hui fermés.
Madame Goudes, dont je n'ai jamais su s'il s'agissait de son vrai nom ou si elle était ainsi nommée pour la petite propriété qu'elle possédait au bord de mer dans le quartier des Goudes, était une petite femme famélique, très élégante, souvent toute de blanc vêtue, au teint blafard. Sa voix était douce, elle s'exprimait invariablement d'un ton monocorde. Il émanait de sa personne une grande générosité. Vieille fille, elle tenait ce commerce avec son neveux Robert au crane dégarni, toujours vêtu d'un pantalon brun jaunâtre en velours côtelé et d'un gilet sans manche vert kaki tapissé de poches. Robert arborait une large moustache rousse et un embonpoint conséquent en digne représentant des athlètes de l'époque.
Je trainais souvent dans cette boutique, véritable capharnaüm organisé, point de ralliement incontournable des pêcheurs et des chasseurs, je buvais leurs histoires et je les accablais de questions. J'appréciais aussi le chocolat chaud que Madame Goudes aimait préparer aux enfants du quartier.
Ce magasin avait pour mes yeux de gosse l'attrait d'une caverne d'Ali Baba. Il y avait tout ce qu'un enfant de mon âge pouvait convoiter pour s'identifier aux adultes : boules de pétanque, couteaux de toutes sortes, gibecières, armes et vêtements pour la chasse terrestre, girelliers, cannes à pêche, moulinets, et tous les accessoires pour un pêcheur ou chasseur digne de ce nom, le tout soigneusement rangé dans des présentoirs vitrés ou dans tiroirs qui occupaient entièrement trois pans de mur de l'arrière boutique. On pouvait s'y procurer aussi des esches, seuls appâts alors commercialisés et conservés dans une glacière sous le comptoir. Vendus à l'unité on prenait alors soin après achat de les préserver dans un chapeau de feutre humide.
Mais l'objet de ma convoitise était depuis un mois exposé en vitrine au regard de tous. Je n'avais d'yeux que pour lui !
Mon père, qui avait deviné mon intérêt pour cet objet et après m'avoir rappelé les conditions d'obtention imposées "si tu travailles bien à l'école, si tu ne fais pas enrager ta mère, si je ne suis pas obligé de te chercher dans tout le quartier", me promis de me l'offrir pour mon anniversaire. Inutile de vous préciser que j'adoptai immédiatement une conduite irréprochable et que je me découvris un gout soudain pour les études. Je décomptais les jours qui me séparaient de cet événement, ne manquant pas de vérifier régulièrement si quelqu'un d'autre n'avait pas acquis le précieux sésame.
Enfin arriva le jeudi du jour J. En ce temps là il n'y avait pas classe le jeudi et mes parents ne prenaient pas la peine de me réveiller. J'ouvris les yeux en fin de matinée. Généralement, je restais à la maison pour faire mes devoirs ou je dévorais des BD en attendant le retour de mes parents pour le repas du midi. Mais là c'était différent, j'étais impatient. Je ne me rappelle pas être sorti aussi vite du lit depuis. Sans même prendre le temps de déjeuner, je m'habillais promptement et je me précipitais à la boutique.
Mes parents étaient affairés, le local était bondé de monde. Je compris vite à leur intonation qu'ils n'avaient pas eu le temps de s'occuper de mon cadeau. Résigné je m'assis sur le pas de la devanture. J'essayais de me raisonner, mon père ne m'ayant jamais menti, il me suffisait de patienté, il me fallait encore attendre.
Je ne sais combien de temps je suis resté ainsi confronté à ma tristesse. Ma mère dont la sensibilité n'avait d'égal que son empathie, me rejoignit sur le pas de la porte et me dit "Va dont chercher ton cadeau chez Madame Goudes avant qu'elle ne ferme, et dit lui bien que je passerai la payer cette après-midi".
Je courus à perdre haleine et c'est tout essoufflé que je rejoins la coutellerie. Il était toujours là, semblant n'attendre en vitrine, ce langoustier tant désiré (c'est ainsi que l'on nommait les ragueurs à l'époque) au tube bleu métallisé et à la crosse grise alu, muni d'un flèche à pas-de-vis avec coulisseau et d'un trident triangulaire. Je ne saurais être affirmatif, mais il me semble qu'il s'agissait d'un René Cavalero ou alors était-ce un Espadon Beuchat ? J'ai eu ces 2 modèles et avec le temps je m'embrouille un peu les pinceaux.
J'entrais fièrement chez la marchande, j'ignorais alors que j'allais vivre ma première grosse déception…
Madame Goudes, dont je n'ai jamais su s'il s'agissait de son vrai nom ou si elle était ainsi nommée pour la petite propriété qu'elle possédait au bord de mer dans le quartier des Goudes, était une petite femme famélique, très élégante, souvent toute de blanc vêtue, au teint blafard. Sa voix était douce, elle s'exprimait invariablement d'un ton monocorde. Il émanait de sa personne une grande générosité. Vieille fille, elle tenait ce commerce avec son neveux Robert au crane dégarni, toujours vêtu d'un pantalon brun jaunâtre en velours côtelé et d'un gilet sans manche vert kaki tapissé de poches. Robert arborait une large moustache rousse et un embonpoint conséquent en digne représentant des athlètes de l'époque.
Je trainais souvent dans cette boutique, véritable capharnaüm organisé, point de ralliement incontournable des pêcheurs et des chasseurs, je buvais leurs histoires et je les accablais de questions. J'appréciais aussi le chocolat chaud que Madame Goudes aimait préparer aux enfants du quartier.
Ce magasin avait pour mes yeux de gosse l'attrait d'une caverne d'Ali Baba. Il y avait tout ce qu'un enfant de mon âge pouvait convoiter pour s'identifier aux adultes : boules de pétanque, couteaux de toutes sortes, gibecières, armes et vêtements pour la chasse terrestre, girelliers, cannes à pêche, moulinets, et tous les accessoires pour un pêcheur ou chasseur digne de ce nom, le tout soigneusement rangé dans des présentoirs vitrés ou dans tiroirs qui occupaient entièrement trois pans de mur de l'arrière boutique. On pouvait s'y procurer aussi des esches, seuls appâts alors commercialisés et conservés dans une glacière sous le comptoir. Vendus à l'unité on prenait alors soin après achat de les préserver dans un chapeau de feutre humide.
Mais l'objet de ma convoitise était depuis un mois exposé en vitrine au regard de tous. Je n'avais d'yeux que pour lui !
Mon père, qui avait deviné mon intérêt pour cet objet et après m'avoir rappelé les conditions d'obtention imposées "si tu travailles bien à l'école, si tu ne fais pas enrager ta mère, si je ne suis pas obligé de te chercher dans tout le quartier", me promis de me l'offrir pour mon anniversaire. Inutile de vous préciser que j'adoptai immédiatement une conduite irréprochable et que je me découvris un gout soudain pour les études. Je décomptais les jours qui me séparaient de cet événement, ne manquant pas de vérifier régulièrement si quelqu'un d'autre n'avait pas acquis le précieux sésame.
Enfin arriva le jeudi du jour J. En ce temps là il n'y avait pas classe le jeudi et mes parents ne prenaient pas la peine de me réveiller. J'ouvris les yeux en fin de matinée. Généralement, je restais à la maison pour faire mes devoirs ou je dévorais des BD en attendant le retour de mes parents pour le repas du midi. Mais là c'était différent, j'étais impatient. Je ne me rappelle pas être sorti aussi vite du lit depuis. Sans même prendre le temps de déjeuner, je m'habillais promptement et je me précipitais à la boutique.
Mes parents étaient affairés, le local était bondé de monde. Je compris vite à leur intonation qu'ils n'avaient pas eu le temps de s'occuper de mon cadeau. Résigné je m'assis sur le pas de la devanture. J'essayais de me raisonner, mon père ne m'ayant jamais menti, il me suffisait de patienté, il me fallait encore attendre.
Je ne sais combien de temps je suis resté ainsi confronté à ma tristesse. Ma mère dont la sensibilité n'avait d'égal que son empathie, me rejoignit sur le pas de la porte et me dit "Va dont chercher ton cadeau chez Madame Goudes avant qu'elle ne ferme, et dit lui bien que je passerai la payer cette après-midi".
Je courus à perdre haleine et c'est tout essoufflé que je rejoins la coutellerie. Il était toujours là, semblant n'attendre en vitrine, ce langoustier tant désiré (c'est ainsi que l'on nommait les ragueurs à l'époque) au tube bleu métallisé et à la crosse grise alu, muni d'un flèche à pas-de-vis avec coulisseau et d'un trident triangulaire. Je ne saurais être affirmatif, mais il me semble qu'il s'agissait d'un René Cavalero ou alors était-ce un Espadon Beuchat ? J'ai eu ces 2 modèles et avec le temps je m'embrouille un peu les pinceaux.
J'entrais fièrement chez la marchande, j'ignorais alors que j'allais vivre ma première grosse déception…