récits lacustres
Publié : mer. juin 17, 2015 1:29 pm
Lac du Bourget, septembre 2014
-Tu n'est pas assez détendu.
-Je suis détendu.
-Non, tu ne l'est pas. Tu ne plonges pas, tu coules comme une pierre.
-Comme une pierre?
-Oui, une pierre. Un plomb, même.
Il faut que tu te fondes dans l'élément. Cesse de lutter contre l'élément.
-Je n'y peux rien, c'est le froid, l'obscurité...
-Pense à un souvenir agréable. Quelque chose de paisible.
Tu dois porter en toi la paix intérieure.
-Un souvenir agréable?
-Oui. Un souvenir heureux.
Je cherchais alors dans mes souvenirs. Je cherchais, et plus je cherchais,
moins je trouvais.
Était-ce possible? Je n'arrivais pas à trouver de souvenir heureux?
Je pensais alors à la naissance de mes enfants. Oui, c'était des souvenirs plus qu'heureux,
mais ce n'était pas des souvenirs qui procurent la sérénité:
Des moments trop forts, trop chargés d'émotions.
Je cherchais encore.
-Tu dois évoquer ce souvenir, puis plonger, et ne plus penser à rien.
Vivre juste l'instant présent, oublier d’où tu viens, oublier où tu vas.
.. Il faut déjà le trouver, ce souvenir heureux et paisible.
Ce souvenir qui me fera revivre un moment de bonheur, sans qu'il soit trop chargé en émotions.
Je cherchais encore...
Puis cela m'apparut, tellement évident.
Pourquoi j'étais là, flottant à la surface de l'eau, essayant de me détendre, de faire disparaitre cette légère tension dans le cou?
Pourquoi je cherchais dans mes souvenirs ce moment qui allait m'aider à me relâcher, avant de respirer une dernière fois, puis plonger,
pour descendre dans ce lac froid et obscur?
Je me souvins alors ou tout avait commencé:
Costa Brava.
C'était l'été. J'étais enfant.
Avec mes cousins catalans, nous partions explorer les rochers, et pêcher des coquilles d'oursins vides,
équipés d'un simple masque à la jupe de caoutchouc, d'un tuba en plastique rigide, et d'une paire de palmes.
Nous allions toujours plus loin, plus profond, dans notre quête du plus beau squelette d'oursin,
au risque de nous faire éclater les tympans. Nous maitrisions si mal les manœuvres d'équilibrage des oreilles...
Parfois, nous tombions sur un chasseur sous marin équipé d'un grand harpon et d'une combinaison noire.
Je me souviens de cette aura de mystère qui entourait ces chasseurs croisés près des rochers.
Ils exerçaient sur nous une fascination empreinte à la fois de crainte et de respect.
Nous restions dans l'eau le plus longtemps possible, puis nous sortions de l'eau, épuisés, claquant des dents, mais heureux.
Oui, ces moments dans l'insouciance de l'enfance comptent parmi les plus heureux et paisibles de toute ma vie.
Ce jour là, il se passait quelque chose de nouveau dans mon esprit. la petite voix qui me parlait tout le temps devint silencieuse.
Elle m'observait, probablement, pour voir si j'avais assimilé la leçon.
Après avoir éprouvé ce sentiment heureux, je prenais une dernière inspiration.
Lentement, je me remplissais d'air, et je m'immergeais pour un voyage d'une minute quarante cinq le long du filin.
Passé quinze mètres, j'atteignais la thermocline, ne pensant à plus rien, hormis le moment présent.
J'acceptais le froid glacial, l'obscurité, la pression... et me laissais couler dans le silence.
Je coulais longtemps, accélérant au fur et à mesure dans ma chute.
Lorsque j'ouvris les yeux, ce fut pour voir la balle de tennis qui sert de butée au mousqueton de la longe.
Je me laissais couler encore un peu.
La lampe étanche que nous avions installé au fonds pour donner un peu de lumière brillait dans ces ténèbres comme la lumière d'Elendil.
Je tendais la main, et venais caresser le plomb. Je souris.
37 m, une profondeur somme toute modeste, dans le monde des apnéistes.
Mais j'étais heureux, à la fois d'avoir atteint cette profondeur, d’où j'entrevoyais déjà les 40 m,
tout simplement heureux de vivre un moment simple de Bonheur.
J'avais réussi.
La main, le plomb au bout du filin, le lac, formaient un tout.
Pendant un moment, je ne faisais plus qu'un avec l'élément, avec l'eau, avec le lac. Avec l'univers entier.
Et cette plongée en apnée c'était transformée en une minute quarante cinq hors du temps, un moment de pur bonheur.
Voilà, pas d'exploits de chasse à raconter, pas d'exploit non plus ici,
juste l'envie de partager des moments qu'on ne partage habituellement qu'avec quelques personnes, binômes, présents à ces instants,
partager une passion d'aller dans l'eau, pas aussi prenante ni riche en émotions comme peut l'être la chasse sous marine, bien sur,
mais à force de vivre loin de la mer, ma mer comme dirait Brice, j'ai appris à "surfer" là ou je suis, et à aimer l'eau douce.
Petit lien vidéo sur une de ces plongées: https://www.youtube.com/watch?v=PTx92ZdguLo
Pas d'images du récit précédent, mais ces images d'une plongée qui y ressemble,
tournées peu avant que je change de corde pour une de 70m histoire de voir venir. Je ne pense pas arriver au bout de cette corde
là tout de suite!
Edit: le lien viméo ne marchait plus, remplacé par un lien youtube. 22/06/2022
-Tu n'est pas assez détendu.
-Je suis détendu.
-Non, tu ne l'est pas. Tu ne plonges pas, tu coules comme une pierre.
-Comme une pierre?
-Oui, une pierre. Un plomb, même.
Il faut que tu te fondes dans l'élément. Cesse de lutter contre l'élément.
-Je n'y peux rien, c'est le froid, l'obscurité...
-Pense à un souvenir agréable. Quelque chose de paisible.
Tu dois porter en toi la paix intérieure.
-Un souvenir agréable?
-Oui. Un souvenir heureux.
Je cherchais alors dans mes souvenirs. Je cherchais, et plus je cherchais,
moins je trouvais.
Était-ce possible? Je n'arrivais pas à trouver de souvenir heureux?
Je pensais alors à la naissance de mes enfants. Oui, c'était des souvenirs plus qu'heureux,
mais ce n'était pas des souvenirs qui procurent la sérénité:
Des moments trop forts, trop chargés d'émotions.
Je cherchais encore.
-Tu dois évoquer ce souvenir, puis plonger, et ne plus penser à rien.
Vivre juste l'instant présent, oublier d’où tu viens, oublier où tu vas.
.. Il faut déjà le trouver, ce souvenir heureux et paisible.
Ce souvenir qui me fera revivre un moment de bonheur, sans qu'il soit trop chargé en émotions.
Je cherchais encore...
Puis cela m'apparut, tellement évident.
Pourquoi j'étais là, flottant à la surface de l'eau, essayant de me détendre, de faire disparaitre cette légère tension dans le cou?
Pourquoi je cherchais dans mes souvenirs ce moment qui allait m'aider à me relâcher, avant de respirer une dernière fois, puis plonger,
pour descendre dans ce lac froid et obscur?
Je me souvins alors ou tout avait commencé:
Costa Brava.
C'était l'été. J'étais enfant.
Avec mes cousins catalans, nous partions explorer les rochers, et pêcher des coquilles d'oursins vides,
équipés d'un simple masque à la jupe de caoutchouc, d'un tuba en plastique rigide, et d'une paire de palmes.
Nous allions toujours plus loin, plus profond, dans notre quête du plus beau squelette d'oursin,
au risque de nous faire éclater les tympans. Nous maitrisions si mal les manœuvres d'équilibrage des oreilles...
Parfois, nous tombions sur un chasseur sous marin équipé d'un grand harpon et d'une combinaison noire.
Je me souviens de cette aura de mystère qui entourait ces chasseurs croisés près des rochers.
Ils exerçaient sur nous une fascination empreinte à la fois de crainte et de respect.
Nous restions dans l'eau le plus longtemps possible, puis nous sortions de l'eau, épuisés, claquant des dents, mais heureux.
Oui, ces moments dans l'insouciance de l'enfance comptent parmi les plus heureux et paisibles de toute ma vie.
Ce jour là, il se passait quelque chose de nouveau dans mon esprit. la petite voix qui me parlait tout le temps devint silencieuse.
Elle m'observait, probablement, pour voir si j'avais assimilé la leçon.
Après avoir éprouvé ce sentiment heureux, je prenais une dernière inspiration.
Lentement, je me remplissais d'air, et je m'immergeais pour un voyage d'une minute quarante cinq le long du filin.
Passé quinze mètres, j'atteignais la thermocline, ne pensant à plus rien, hormis le moment présent.
J'acceptais le froid glacial, l'obscurité, la pression... et me laissais couler dans le silence.
Je coulais longtemps, accélérant au fur et à mesure dans ma chute.
Lorsque j'ouvris les yeux, ce fut pour voir la balle de tennis qui sert de butée au mousqueton de la longe.
Je me laissais couler encore un peu.
La lampe étanche que nous avions installé au fonds pour donner un peu de lumière brillait dans ces ténèbres comme la lumière d'Elendil.
Je tendais la main, et venais caresser le plomb. Je souris.
37 m, une profondeur somme toute modeste, dans le monde des apnéistes.
Mais j'étais heureux, à la fois d'avoir atteint cette profondeur, d’où j'entrevoyais déjà les 40 m,
tout simplement heureux de vivre un moment simple de Bonheur.
J'avais réussi.
La main, le plomb au bout du filin, le lac, formaient un tout.
Pendant un moment, je ne faisais plus qu'un avec l'élément, avec l'eau, avec le lac. Avec l'univers entier.
Et cette plongée en apnée c'était transformée en une minute quarante cinq hors du temps, un moment de pur bonheur.
Voilà, pas d'exploits de chasse à raconter, pas d'exploit non plus ici,
juste l'envie de partager des moments qu'on ne partage habituellement qu'avec quelques personnes, binômes, présents à ces instants,
partager une passion d'aller dans l'eau, pas aussi prenante ni riche en émotions comme peut l'être la chasse sous marine, bien sur,
mais à force de vivre loin de la mer, ma mer comme dirait Brice, j'ai appris à "surfer" là ou je suis, et à aimer l'eau douce.
Petit lien vidéo sur une de ces plongées: https://www.youtube.com/watch?v=PTx92ZdguLo
Pas d'images du récit précédent, mais ces images d'une plongée qui y ressemble,
tournées peu avant que je change de corde pour une de 70m histoire de voir venir. Je ne pense pas arriver au bout de cette corde
là tout de suite!
Edit: le lien viméo ne marchait plus, remplacé par un lien youtube. 22/06/2022