Les lamparos éclairent la scène du repas ; chacun est installé dans un coin, son assiette sur les genoux,
et balance à la mer ses os de poulet et ses peaux de banane.
L’équipage sort ses lignes à main, et découpe savamment des poissons ressemblant à une grosse sardine, pour appâter.
Un des marins a une réussite exceptionnelle : son fil n’est qu’à 6-7m des autres lignes, c’est lui qui ramène tout, et les autres, rien !!
Au début, c’est 2-3 poissons grands comme la main ; ensuite c’est un barracuda, du calibre de l’avant-bras
… mais dont il ne reste que le tiers supérieur : le reste a été lacéré et emporté pendant la remontée !
Et un peu après, ça tire fort, et on voit apparaître dans la transparence l’éclat d’un grand poisson :
un « Bec de cane Empereur » de 6,2 kg et 80 cm !

Plus tard dans la nuit, c’est d’autres barras de 2 kg qui seront remontés sur le pont, ce qui l’englue un peu plus
… pour le bonheur des cafards !
Nuit difficile, engoncé, mal installé … Et pourtant, je suis un privilégié !
Je dors à l’abri de la pluie, sur un plancher qui n’est pas englué par le poisson !
Ptit dej en regardant le soleil qui se lève, et puis chacun récupère son matos de pêche.
J’inhale une giclée du spray nasal de Chaï, puis le bateau s’ébroue et sème les chasseurs, par groupes de 2 ou 3.
Tout est calme et lisse dans l’eau claire baignée de rayons cristallins.
Je rejoins Chaï le long d’un tombant : le câble de sa bouée est vertical, sa flèche engagée dans un trou à 23m …
Je descends voir – les sinus passent bien ! – et quand j’arrive vers les 15m, deux Thons à Dents de Chien
viennent inspecter ce remue-ménage, qui a attiré un groupe de grands chirurgiens noirs.
Que faire ? Le petit, 8 kg, est à portée, et plus loin, le gros, 15 kg, est sur ma trajectoire.
Je préfère ne pas changer mon programme : inspecter le trou, ne pas risquer d’emmêler les lignes.
Une grande queue de lutjan dépasse du trou ; quand je remonte, les thons disparaissent dans le lointain.
- « Pourquoi t’as pas tiré le gros ? Tu pouvais l’avoir » me dit Chaï.
- « J’étais pas sur de ce qu’il y avait au trou ; je ne voulais pas emmêler les lignes et risquer de tout perdre »
- « Aucun risque, on se serait débrouillés … »

En Thaïlande, le Lutjan Bohar (“Plaa Lii”) est très recherché … ce qui le rend très méfiant.
Il n’est pas gratteux comme en Polynésie – ni aucun poisson d’ailleurs : pas de ciguatera en Thaïlande –
Ma journée de pêche se passe à la recherche du TDC ….
Alors que les autres tirent ce qui se présente – Grosses carangues, mérous, et aussi ces grands chirurgiens bruns
qui viennent en bancs, sur les profondeurs de plus de 20m …
En une journée, on change 5-6 fois de coin.
A la dernière sortie de la journée – et de l’expédition - je suis Chaï et son coéquipier :
le bateau nous largue à une façade battue par une petite houle, avec du courant.
Chaï et son collègue inspectent les gros blocs du bord, sous l’écume.
Moi, je m’éloigne de la bordure où ça secoue, et suis le tombant : il y a du passage !
Deux lutjan Bohar naviguent au pied du tombant : je tente une coulée, un banc de chirurgiens noirs m’enveloppe,
me masquant à leurs regards … L’un d’eux s’approche, les chirurgiens s’écartent :
il me voit, fait volte-face et repart, puis hésite, revient et se retourne.
Il est encore trop loin ; je tente de m’approcher, gagne 2m, mais il repart …
Tir à tout hasard : lamentablement raté ! Au loin, en limite de visi, un grand barracuda file !
Evidemment, avec une approche pareille, qu’est ce que j’espérais ?
Je réenclenche ma flèche pensivement, et range le fil le long du tube de mon RA 140, quand un TDC passe sous moi à 10m à peine !
Grande nage fluide de son corps élancé … un autre le suit à 4 longueurs ! Et moi, qui tremble pour réarmer mes doubles sandows !
Je me maintiens dans le courant et surveille ce qui vient ; un groupe de 5-6 GT vient du haut des roches, dévale le tombant
et disparaît dans la profondeur du courant …
« Viens, on change de coin » me crie Chaï …
Lorsque le bateau passe nous prendre, je n’ai toujours rien pris. Chaï, par contre, a encore accroché 3 beaux poissons à sa bouée


Je suis le seul à n’avoir rien ramené de la journée ; mais après tout, tant pis !
J’aurais très bien pu m’arrêter à un rocher isolé, et m’appliquer sur des poissons de récif :

Bien sûr, on peut y trouver du plaisir, avec un 100 cm équipé d’une flèche de 6mm, mais moi, avec mon RA 140, ça ne me motive pas.
On rentre en fin d’après-midi, et à 4h00 du matin, je retrouve mon bungalow à Ao Sane, sa douche chaude, et mon lit …

Les 2 jours suivants, je les consacre à la plage ! Massages de 2 heures, boomerang, freesbee et body-surf …


Pas de vent, pas de pluie : le temps est bon pour la pêche, mais j’ai besoin de retrouver la motivation !
Après cette expédition, que les autres sorties vont me paraître fades !