Pharmacie... Souvenirs !
Ce fameux week end à rallonge, quand j'étais parigot, avec un pote à Banyuls, à deux pas du port, sans bagnole. On avait loué une barque alu, notre seul moyen de déplacement.
Le loueur, très sympa, nous dit qu'après tout, en bateau, on peut aussi se faire une soirée sympa en Espagne.

Nous voilà donc parti après une magnifique journée à broucouiller, vers Port Bou. Tirage de la barque sur la plage devant les badauds ébaubis, "ya esta !".
Au resto, devant la mer, "elle est pas belle la vie ?", le serveur nous propose une sangria pour l'apéro : "vamos, caramba !"; et il nous amène.... un pichet d'un litre pour deux !
Quand il nous apporte la paella et le rosé (esséssivement fré), on se bat pour sucer les derniers morceaux d'écorce d'orange au fond du pichet. D'ailleurs, quand on en reparle, pas moyen de se rappeler si le rosé était bon ou pas. Mais bon, c'est sur, y'en avait pas assez, vu que le vent est vraiment très sec par là-bas.
On repart, guillerets vers notre embarcation, l'âme de Tabarly s'est éveillée en nous, on va naviguer sous les étoiles, traverser la frontière au nez et à la barbe des douaniers, des bureaucrates de Bruxelles et des satellites espions...

'tain, c'est vrai qu'y a du vent ! Le mer s'est levée...

D'façon on va pas dormir là...

On repart non sans difficulté pour traverser les rouleaux. Et puis on craint rien du haut de notre longue expérience de marins : 10 h de nav au maximum, en comptant les cours pour le permis....
Y'a un truc quand même, en mer, de nuit, c'est qu'on ne voit rien ! Et ce coin-là est particulièrement chiche en balisage de nuit

! "Mais si, regarde là, y'a un Cap ! " Un peu plus loin "C'est pas là les écueils ?"
Debouts accrochés à la console, on se prend des seaux d'eau dans la gueule, on est comme deux gamins dépassés par l'aventure, perdus dans l'antre d'une machine à laver, et MORTS DE RIRE, un vrai fou rire de gosses, avec des larmes dont le sel vous brule le coin des paupières !
Finalement, ce sont les balises de la réserve qui nous permettent bon gré, mal gré de nous rapprocher de Banyuls. On arrête de rire. En venant de l'Ouest, il faut en effet se méfier de la presqu'île (Grosse ?) qui garde l'entrée du port, et qui, par cette nuit sans lune, est maintenant complètement invisible.
"Là-bas, m'exclamè-je, un feu vert ! L'entrée du port !" On voudrait s'embrasser, se congratuler, mais ce serait admettre qu'on était morts de trouille... Et puis il fallait rester concentrés jusqu'au bout.
Tout fier de mon regard perçant, j'explique à mon pote le mot nyctalope dans un accès d'orgueil, et lui pointe la direction de la lueur de l'espérance jusqu'à ce qu'il l'apercoive lui aussi. Mais un truc le chiffonne. Et où qu'il est le bas si rouge ?
Nous approchons, encore, encore... "Putain

c'est pas le port !... C'est la pharmacie !!!

" On vire de suite. A 100 m de l'île Grosse.
Le lendemain matin on repart en mer avec quelques reflux gastriques acides. 50 m après la sortie du port, c'est la panne.
Depuis ce jour-là, je sais que Poséidon existe, et que je suis son débiteur

. Et c'est aussi depuis ce jour-là qu'il ne me laisse percer les poissons qu'au compte-goutte...
