L’afflux de vacanciers et l’absence de peï m’ont levé ces derniers temps beaucoup de motivation. Après avoir consulté la météo et constaté le nord-ouest annoncé, j’effectue jeudi matin une semi rentrée. 12 jours sans trouver le courage nécessaire. Le vent et l’activité réduite de la cale, accessibilité limitée par le marché hebdomadaire et le dernier soir des voies du Gaou, devraient réduire les nombre des prétendants.
Le jour qui point laisse apparaitre une couverture nuageuse et il faudra que je me fasse violence pour ne pas regagner le lit. La nuit a été courte. La lune rayonnante modère aussi mon optimisme. Après quelques hésitations je charge la voiture. Le plus dur est fait.
Le port est désert, encore endormi. Je quitte le quai en solitaire. Toutes mes hésitations ne sont maintenant plus qu’un lointain souvenir. Debout dans le cockpit, je savoure intensément ces moments. Le vieux boat fend la mer, le teuf-teuf du moteur se mélange aux cliquetis du clapot sur la coque. Plaisir indescriptible que de se retrouver seul sur l’eau dans la pénombre face au vent. Je suis le maitre du monde

. DiCaprio et son Titanic, en comparaison c’est de la m..de
Seul le vent qui allonge me tire souci et m’oblige à ancrer à l’abri. Je ferais le reste à la palme.
Les premières lueurs du jour percent derrière le village du Brus colorant les nuages éparts d’un pourpre orangé. J’attendais cet instant emmitouflé dans mon néoprène depuis plusieurs minutes. Je m’immerge dans une clairière de sable parmi les posidonies. Menu fretin et bogues téméraires campent le paysage. Je me pose 2 fois sur 6 m, plus pour chasser l’air de l’habit que pour agachoner. 2 loupiots portions viendront me rendre visite. Confiance ou insouciance de la jeunesse

? J’actionne la pointe du fusil pour les dissuader et je dois m’y reprendre à plusieurs reprises afin de les éloigner. Je n’insiste pas et je bascule rapidement sur la face exposée.
Bien qu’étant praticable à l’indienne, la mer est bien oxygénée. Un panache de fines bulles et les vagues naissantes me permettent tout de même de faire le bord.
L’option choisie est bonne et semble aussi convenir aux demoiselles à l’anneau doré. L’une d’entre elles a deviné ma présence sans me voir. Elle se soulève du fond comme pour scruter les environs. Je me précipite un peu et l’aligne à la va-vite alors que j’avais de la marge. Mon tir imprécis n’aura pour conséquence que de lui tatouer une marque blanchâtre sur le sommet de la tête. Erreur de débutant.
Arrivé à une pointe, une autre belle se restaure à l’entrée d’une cuvette, d’une flaque comme dirait Tête d’Anchois

, je contourne la roche par le fond afin de me positionner devant l’entrée. Elle ne m’a pas entendu, je prends mon temps pour ajuster mais sur cette extrémité les vagues cassent d’avantage, j’ai du mal à stabiliser le 105 et je tire à côté. 2 autres ne surprendront au détour d’un rocher et ne laisseront sans réaction.
Sur une autre avancée, je perçois sous la mousse 1 commun solitaire de grande taille, un de ceux que l’on ne croise pas tous les jours. Je le perds de vu dans le champagne. Je me laisse couler contre la roche, j’ai la chance d’y sortir dessus et au lieu de déguerpir ce commun hors du commun me monte droit sur la flèche. Une nouvelle fois je mets à côté.
La mer a forci et je commence à être bien remué. Je décide de m’éloigner du bord avant d’atomiser ce qui reste de mon gant gauche lorsqu’ un loup ne vient de face. Là aussi j’ai du mal à stabiliser le gun, j’hésite à tirer, il tourne doucement pour s’éloigner, je l’ai enfin dans ma ligne de mire. Je lâcher un tir de 3 / 4 arrière. La flèche le rattrape et va se loger dans l’ouïe avant de ressortir par la bouche. Il accuse 900g.
Je me suis éloigné du bord et je me tiens en limite d’écume là où finissent les roches et où commence l’herbier. Alors que les rayons du soleil strient maintenant l’eau, sous un banc de commun en suspension sur l’herbier une forme attire mon attention. Je me cale 6 / 7m sur un bloc en limite et un denti d’environ 1.5 kg me vient sans retenu. J’attends qu’il se tourne pour lâcher le tir. Tirer trop bas, il se décroche presque instantanément sans que je puisse intervenir.
Plus loin, c’est 4 dentis autour du kg qui répondront à mes appels. Encore une fois je fais preuve de maladresse et ma flèche finit dans le bleu.
Pose sur un plateau sur 3 m je découvre quelques mètres plus bas une dodo en vadrouille. Je coule dessus et l’aligne avant qu’elle ne réagisse. Elle accuse 1.1 kg. Après tous mes ratés cette prise à une saveur particulière et m’apporte beaucoup de satisfaction. La pêche est faite, je regagne le boat. Je croise de retour un magnifique mérou de 6 / 7 kg dans 5 m d’eau

qui me laisse tout loisir de l’admirer.
Après 40 ans dans l’eau je prends autant de plaisir qu’à mes débuts. Que du bonheur.
