Nuit difficile, mais réveil sur un jour radieux.
Le bateau nous largue sur une eau d’un bleu lumineux … J’avance sur une eau calme, survolant un fond de débris coralliens à 10-12m .
Une carangue bleue de 3 kg vient se couler sous un petit parasol corallien … je la laisse, puisque je vais, nécessairement, trouver plus gros.
Cinq minutes après, j’ai un doute ; tant pis, trop tard … je continue et double un cap calme, mais rien ne vient perturber la sérénité bleu clair …
Le fond descend, un gros bloc s’accroche à la pente, et une « Perche Maori » vient se promener autour.
Du 3 kg, cela vaut la peine de faire un effort ! Canard, premier coup de monopalme et compensation : un burin s’enfonce dans l’os frontal,
et se vrille au-dessus d’un sourcil ! Jamais je n’ai eu de sinus frontal bouché : maintenant, je sais ce que c’est !
Je tente de compenser, mais rien ne vient ; je remonte, avale de l’eau de mer dans les fosses nasales, me mouche 3-4 fois, mais en vain !
Je ne puis dépasser 2-3m, sans ressentir cette insupportable douleur qui explose dans l’os au-dessus des yeux, mes arcades sourcilières
sont celles d’un Néanderthalien, je me sens handicapé …
Le bateau finit par passer ramasser les chasseurs.
Quels tableaux ! Ils ont tous 2-3 poissons, dont au moins une pièce de la classe 10 kg …

Chaï est celui qui ramène l'accroche-poissons le plus lourd :
Chaï me passe ses gouttes pour le nez. C’est efficace …. Mais pendant 3-4 apnées seulement !
Puis la compensation devient laborieuse, puis impossible, avec une barre frontale à la remontée … et je suis là, avec la tête qui éclate,
au-dessus des gros blocs baignés de lumière, avec les rayons du soleil matinal qui irradient les grandes failles verticales,
modèlent les perspectives et sculptent les grandes dalles. Au loin, des grosses carangues ignobilis patrouillent sous le ressac de la houle,
puis disparaissent dans le lointain bleu.
De temps à autre, un profil épais et massif émerge puissamment d’un couloir, et vient vers moi

…
Premier tir … trop loin :
plantée dans le haut du dos, la « Great Trevally » amorce un demi-tour puissant et s’engage irrésistiblement sous une dalle.
La contrer, il faut absolument la contrer !
Elle m’embarque, j’ai beau me cramponner au filin qui rattache mon RA 130 à la bouée, elle s’engage dans une grande rague,
et s’enfonce irrésistiblement dans les profondeurs de la roche … le nylon racle la pierre – et le talon de la flèche se coince
au bout d’une charnière entre deux dalles – Je maintiens la tension, mais rien ne vient …
Je me calme, parviens laborieusement à compenser, et descends dégager la flèche – Plus rien au bout !
Le fil est égratigné, mais pas entamé profondément … J’ai eu beaucoup de chance de récupérer ma flèche :
incroyable comment cette carangue d’à peine 12-15 kg m’a embarqué ! C'était irrésistible !
Et 10 minutes après, la scène se renouvelle : la silhouette noire qui monte, de face, la gueule entrouverte :
cette fois, je tire un peu moins mal, la flèche l’atteint à un endroit un peu plus épais du muscle du dos,
mais j’ai beau la contrer, elle s’engage irrésistiblement sous une dalle proche. Mon fil racle la roche, mais la carangue s’immobilise
– elle a sans doute rejoint un cul-de sac. Je maintiens la tension du fil, la flèche dépasse de 50 cm, et c’est surtout elle qui racle la pierre.
Je finis par retrouver mon souffle, j’arrive à compenser, à descendre jusqu’à la hampe, que je dégage …
Et la carangue est au bout, elle se débat encore, mais je parviens à l’accrocher à la bouée !
Le bateau passe me prendre ; avec la monopalme, la remontée a bord est très « physique » ; mais se mettre à l’eau l’est tout autant !
Plusieurs spots plus loin, je parviens à tirer un « Variola Louti », le « Coronation trout » des Australiens.
Compensation difficile toujours, mais je suis dans un bon moment, la descente est très lente, mais le sinus « passe » :
j’arrive à portée et lui barre sa trajectoire de repli.
Quand j’arrive, triomphant, avec ce seul poisson, les autres pêcheurs ramènent des bouées lourdes, très lourdes même …
On me dit, avec perspicacité : « En fait, toi, ce qui t’intéresse, c’est pas tellement la pêche, mais plutôt de nager et de prendre des photos ?? » …
Ouais … En fait, j’aimerais bien une belle prise … mais je l’avoue, tirer des poissons brouteurs, ou des mérous « bouse de buffle »,
ça ne me motive pas trop … Et puis, je pêche tantôt avec une arbalète Rob Alen de 130, et tantôt avec une autre de 140 :
c’est pas pour tirer des poissons de 800 grammes !
Si tu donnes à quelqu'un un poisson que tu as volé, il mangera une fois.
Si tu lui apprends à voler, il mangera toute sa vie
Philippe GELUCK